Re: Pérégrinations 4.

[Tatonga]

L’univers et l’homme.

« Tatonga, qu’est-ce que l’univers  ?
-C’est un très grand système qui se tient et se répond.

-Et la vie, c’est quoi ?
-On ne sait pas, Tictoc, mais pourquoi en parles-tu, il n’y en a qu’une infime parcelle sur un minuscule grain de sable, tellement petit qu’il est insignifiant au regard de l’immensité de l’univers. Alors pourquoi parler de ce qui n’est même pas un détail, même pas une poussière ?

-C’est que tout le monde en parle quand il est question de l’univers, les philosophes, les hommes de science…
-Il est quand même étrange, Tictoc, qu’ils s’intéressent à ce presque rien. L’univers est un monde matériel  infiniment grand, régis par des lois physiques, quel rapport avec ce brin de vie qui traine sur Terre, peut-on même les englober dans une même approche ?

-Je ne sais pas, Tatonga.
-Je vais te dire, Tictoc, la vie ne devrait pas du tout être là, elle n’a rien à faire dans ce monde matériel. Sa présence est insolite, saugrenue, incongrue, surprenante, elle n’est même pas faite du même matériau. Dans cette immensité cosmique, il n’y a que la vie qui soit faite de sang et de chair. C’est vraiment  étrange, c’est à croire qu’elle s’est échappée d’un autre univers totalement différent !

-C’est vrai, Tatonga, que c’est un cas vraiment à part, exceptionnel.
-Et je vais te dire encore une chose, Tictoc. Nous ne savons pas tout ce que contient l’univers, mais nous avons une idée du genre de choses qui peuvent s’y trouver, et la vie, crois-moi, n’en fait pas partie. Si cette chose bizarre est venue se greffer là, ce n’est ni fortuit, ni un accident, ni même naturel. Il a fallu l’insérer volontairement, la forcer.

-Dieu ?
-Mais oui, Tictoc, et tu as là la meilleure preuve de Dieu, peut-être pas tout à fait l’un des Dieux déjà imaginés par les hommes, mais de Dieu, et je vais te dire encore une chose que tu as peut-être déjà déduite tout seul de ce que je viens de te dire.

-Dis quand même…
-L’univers n’avait besoin ni de la vie, ni de l’homme, il pouvait parfaitement s’en passer, mais il est évident, Titoc, que c’est lui qui est fait pour l’homme et c’est pour cela qu’il est là. C’est évident, sûr et certain, Tictoc, l’univers est fait pour l’homme, mais il y a une chose qui m’étonne.

-Quoi ?
-Que toi et moi en soyons. Ça me parait aussi incroyable, aussi improbable que de gagner un milliard de fois de suite, je dis bien de suite, à un tirage de loto. Comment cela a-t-il pu être possible, comment as-tu fait pour  tirer le gros lot, je ne sais pas. »

[Brahim]

Au cours d'un rapport sexuel, l'homme éjacule entre 200 et 500 millions de spermatozoïdes.
Un seul d'entre eux sera élu et donnera un être humain. Tous les autres mourront dans les jours qui suivent.

[Tatonga]

Au cours d'un rapport sexuel, l'homme éjacule entre 200 et 500 millions de spermatozoïdes.
Un seul d'entre eux sera élu et donnera un être humain. Tous les autres mourront dans les jours qui suivent.

Très, très intéressant. Que de choses intéressantes dans le monde qui nous passent sous le nez ! ! Je tiens là mon prochain sujet.

[Tatonga]

Le hasard et le bon Dieu.

« Tatonga, est-ce que je suis là dans ce monde par hasard ?
-Oui, Tictoc, tu y as du mérite, mais c’est plutôt le hasard qui en a décidé ainsi.
-Ce n’est donc par le bon Dieu ?
-Non, Tictoc, le bon Dieu omnipotent et omniscient ne…
-Mais pourquoi dis-tu omnipotent et omniscient ?
-Tu sais, Tictoc, il faut bien l’être pour concevoir ces fameux gamètes qui t'ont donné le jour.

-Oui, ça, c’est vrai.
-Donc, le bon Dieu omnipotent et omniscient qui a conçu les gamètes mâles et femelles, très difficiles à concevoir, aurait très bien pu encore plus facilement prévoir un seul spermato infaillible pour te donner le jour. Il pouvait ainsi décider de te créer toi et pas un autre.

-Et ce n’est pas ce qu’il a fait ?
-Non, Tictoc, à chaque fois ce sont des centaines de millions de spermatos qui sont libérés.

-Mais pourquoi ?
-Avec des centaines de millions de spermatos, le bon Dieu voulait peut-être s’interdire de faire le choix de créer X ou Y. Il a tout confié au hasard et a laissé le hasard seul décider.

-C’est possible, Tatonga, mais pourquoi ne choisit-il pas lui-même ?
-Je ne sais pas, Tictoc. Peut-être considère-t-il que naitre est un grand privilège et il ne voulait privilégier personne ou que c’est un grand malheur et il ne voulait accabler personne, ou pour une autre raison, Tictoc, je ne sais pas. Lui seul est dans le secret ; en tout cas, c’est un grand mystère, Tictoc.

-C’est donc une grande responsabilité qu’il ne voulait pas prendre et je suis là par hasard. Je comprends maintenant, Tatonga, pourquoi il y a sur terre de drôles d’énergumènes.
-Ou peut-être faut-il dire plus simplement qu’il s’agit de millions d’âmes tout à fait conscientes de l’enjeu et qui se bousculent pour s’incarner. Dans tous les cas, Tictoc, il te fallait une sacrée veine et beaucoup de souffle pour avoir ce que tu voulais.

-Et que disent les savants, Tatonga ?
-Ça dépend des savants, Tictoc, certains disent que Dieu sait ce qu’il fait, d'autres que la nature fait bien les choses… pendant que ça barde partout. »

[Tatonga]

Les singes et l'homme.

« Tatonga, qui est plus malin, le singe ou l’homme ?
-Toutes les bébêtes sont intelligentes, Tictoc, mais l’homme est un drôle d’animal.

-C’est un drôle d’animal ?
-Oui, Tictoc, surtout quand il cherche à savoir, à comprendre, à découvrir la vérité.

-Et il fait comment, Tatonga, il réfléchit ?
-Oui, Tictoc, il réfléchit, il raisonne, mais, rusé comme il est, il sait que son cerveau est le mieux placé pour le rouler dans la farine.

-Il se méfie de son cerveau ? Mais alors il fait comment ?
-Il palpe, il tâte, Tictoc, avec sa patte comme le singe et le chat, mais il ne fait pas confiance à sa patte, surtout que ça passe par son cerveau.

-Mais alors, il ne peut rien savoir !
-Il flaire, il goûte, il écoute, mais il se méfie, Tictoc, et ça aussi ça passe par le cerveau.

-Il ne peut plus rien faire alors !
-Il regarde, Tictoc, il observe, mais il sait que ça peut lui jouer de mauvais tours.

-Il ne peut donc rien comprendre, Tatonga.
-Oh si, Tictoc, il est très rusé, alors il expérimente, il présente plusieurs fois la même situation au cerveau et si le cerveau lui fait toujours la même réponse, il comprend que c’est la vérité.

-Je n’ai pas compris.
-Ton cerveau te dis "Le grand palmier qui est planté sur une bouse de vache a des dattes plus belles". Garde-toi de le croire ! Plante plusieurs palmiers sur des bouses de vache et si ton cerveau te dit (si tu vois) toujours la même chose, c’est que c’est vrai.

-Il ne me trompe pas ?
-Non, sauf si tu fais des conneries en plantant tes arbres.

-Et c’est donc ainsi que l’homme peut découvrir la vérité ?
-Pas toujours, Tictoc, il y a des cas où tu ne peux rien voir, rien entendre, rien toucher, où ton cerveau n’a aucune prise, rien à se mettre sous la dent, et il reste muet comme une carpe ou tourne à vide ou se met à débiter des âneries.

-L’homme est très fort, Tatonga.
-L’homme se sert de son cerveau et son cerveau surveille son cerveau, critique, éduque, corrige, redresse et dirige son cerveau, tout en travaillant. C’est à se demander, Tictoc, s’ils ne sont pas deux ou toute une équipe à s’affairer dans ce chantier. »

[Tatonga]

Matière périssable.

« Tatonga, est-ce qu’il n’y a que matière périssable ?
-Non, Tictoc, absolument pas. S’il n’y avait que matière périssable, il n’y aurait pas de monde. La matière périssable, c’est ce que tu peux voir et toucher, et le monde ce n’est évidemment pas ça. Réduire le monde à une matière périssable ce n'est vraiment pas sérieux.

-Comment le sais-tu ?
-Le monde signifie justement le contraire d’une matière périssable, or il y a un monde et tout ce qui est dans le monde communique, se parle et te parle à toi aussi, Tictoc.

-Il me dit quoi ?
-Beaucoup de choses, un beau matin ensoleillé est un sourire complice qui t’est adressé, Tictoc.

-Ah bon ?
-La vie même, Tictoc, est un message éloquent, beaucoup plus qu’un message, elle s’affirme et se montre pour te dire que tout est vie, et il faut bien comprendre, Tictoc, que la vie ce n’est pas les créatures vivantes, c’est une grande lumière, le contraire des ténèbres et de la mort.

-Le monde, Tatonga, n’est qu’un mécanisme, une structure qui s’anime.
-Un squelette. Non, Tictoc, tu sais bien, tu sens, qu’il ne se réduit pas à un squelette. En disant cela, tu le vides de son sang, tu le dépouilles de son âme et de son cœur. Dans ce poème cosmique, tu ne vois que des phrases et des rimes, mais pas la poésie.

-Tout ce que tu dis, Tatonga, ce n’est que des impressions, des interprétations, le monde n’est pas là pour jouer ta symphonie, exaucer tes vœux ou réaliser tes désidératas.
-Et d’où te viennent ces impressions et comment se fait-il que tu éprouves des impressions ? Ne comprends-tu pas que tu es connecté au monde, que c’est le monde qui communique avec toi et se révèle à toi ? Mais comment veux-tu donc que le monde te parle, Tictoc, tu ne voudrais quand même pas voir débarquer un type pour te haranguer avec un porte-voix. »

[Tatonga]

Seul le rêve se suffit à lui-même.

« Tatonga, sais-tu ce que je suis venu faire dans ce monde ?
-Tu n’es pas dans ce monde, Tictoc, il n’y a même pas de monde du tout.

-Il n’y a pas de monde ?
-Ni de monde, ni toi. C’est quoi ce truc qui n’a ni origine, ni cause, décousu et cousu de fil blanc, incohérent, sans tête ni queue, plein d'histoires à dormir debout et qui finit par… disparaitre et toi avec ? Tu ne vois donc pas que c’est un canular ?

-Un canular ?
-Un rêve, Tictoc, tu te rêves dans un monde, c’est flagrant. Retiens bien ceci, Tictoc : seul le rêve se suffit à lui-même, seul un rêve n’a pas besoin d’avoir une origine, une finalité, un but, un dessein, un sens, ou d’être cohérent. C’est un rêve, Tictoc, un rêve ça colle, et ça explique pourquoi vous disparaissez, vous vous effacez, toi et ton monde.

-Je suis un rêveur ?
-Mais c’est évident, Tictoc, un rêveur se rêvant dans un monde.
-C’est un rêve réel, Tatonga ?
-Si ça te plait de l’appeler réel, appelle-le réel, mais comme tout est là sans cause, sans raison et sans but et finit par s’effacer complètement, rêve suffit largement.

-Dis-moi, Tatonga, est-ce que je me souviendrai de ce rêve ?
-Pour quoi faire ? Tu ne rêves pas pour apprendre, pour t’entrainer ou pour t’améliorer. Tu rêves et c’est tout, et à la fin du rêve, tu es disponible pour faire d’autres rêves. Tu vois, c’est simple, il n'y a même plus de questions à se poser et tu peux ranger tes comment et tes pourquoi avec les vieilleries de ton grenier, ils ne servent à rien. Il y a longtemps d’ailleurs qu’on aurait dû comprendre qu’il n’y a rien de plus stupide que ces questions-là. »

[Tatonga]

Les clés bricolées.

« Tatonga, comment le monde évolue-t-il ?
-Pas comme on le décrit, Tictoc, pas comme la science en parle, certainement pas, Tictoc.

-Et elle est décrite comment cette évolution ?
-La vie et l’homme seraient accidentels, conjoncturels, circonstanciels, contingents.

-Et tu n’es pas d’accord ?
-Absolument pas, Tictoc. Quels que soient les arguments, les observations, les analyses, les raisonnements avancés à l’appui de cette thèse, il faut être bien crédule pour y croire. Non, Tictoc, non et non, l’homme n’a pas surgi à l’insu du monde, comme jaillirait à ton insu une gerboise effarouchée.

-Et c’est quoi alors ?
-Il est certain, Tictoc, tout à fait évident que l’homme est là par nécessité, il devait être là obligatoirement, d’une manière ou d’une autre, avec ou sans le singe. Le monde et l’homme forment un tandem insécable, Tictoc, le monde ne pouvait être sans avoir en projet son homme.

-Tu doutes de la science ?
-Ce n’est pas la question, mais je suis visionnaire, Tictoc, je sais qu’il y a autre chose, une grande pulsion aussi puissante que le big-bang, aussi puissante mais invisible, une forte dynamique que ne peuvent saisir les raisonnements, les déductions, les inductions, la causalité et autres clés bricolées par l’homme pour expliquer le monde.

-Même la causalité ?
-Bah, Tictoc, ça ne vaut pas mieux que le reste. On rattache les effets aux causes, alors que s’il n’y avait pas ces causes identifiées, il y aurait eu d’autres causes pour produire inexorablement les mêmes effets. »

[Tatonga]

Le locataire.

« Ainsi donc, tu es visionnaire, Tatonga ?
-Je te disais, Tictoc, que je ne conçois pas que la vie et son aboutissement, l’homme, aient surgi subitement et fortuitement dans le monde.

-Et pourquoi donc ?
-Parce que je ne conçois pas que le monde soit vide, qu’il soit là uniquement pour tourner bêtement. Il lui fallait l’homme, l’homme est nécessaire, Tictoc, il était prévu, il était programmé. Sans l’homme, le monde aurait été incomplet, ridicule même. C’est par l’homme que le monde atteint toute sa plénitude, acquiert un sens, Tictoc, l’homme et le monde sont les deux faces d’une même pièce.

-Un sens ? Ce monde aurait donc une conscience…
-Oui, Tictoc. Si tu as toujours cherché le sens sans le trouver, c’est parce que tu cherchais un sens pour toi sans te douter que ce que cherche le monde, c’est d’avoir lui-même un sens, un sens pour lui-même.

-Et c’est en faisant apparaitre l’homme que le monde se donne un sens ?
-Et atteint la plénitude. Oui, Tictoc, sans l’homme, le monde ne serait qu’une carcasse vide, sans intérêt, sans importance, sans utilité, sans raison d’être.

-Mais tu sais bien, Tatonga, que l’homme est là à la suite d’une longue évolution.
-Je m’en fous de ton évolution, Tictoc. Toutes ces histoires de mammifères, de vertébrés, de singes qui se succèdent, c’est très intéressant, ça peut même t’amuser, mais moi, je vois ce qu’il faut voir. A l’intérieur de la maison, je vois un locataire debout occupé à inspecter les lieux, à palper la boiserie, à contempler les tableaux accrochés aux murs, à éprouver le confort des sièges, et je te dis qu’il ne peut pas être là par hasard, tout était prêt pour le recevoir, l’eau à boire et les parfums à respirer. Qui est-il, comment et par où est-il entré, d’où vient-il et qui lui a donné les clés ? Ce visiteur, Tictoc, était attendu et prévu. »

[Tatonga]

Le cœur battant.

« Tatonga, est-ce que je peux voir l’âme ?
-Bien sûr, Tictoc. Tout ce qui bouge, c’est l’âme qui le fait bouger.

-Pas sûr, Tatonga, ça peut bouger tout seul.
-C’est impossible, Tictoc. L’âme est invisible, mais c’est elle qui anime toute chose.

-Et où se trouve l’âme, Tatonga ?
-L’âme habite l’univers, Tictoc, elle en est le cœur battant. Sans son âme, il n’y aurait même pas d’univers du tout.

-Pas sûr, pas sûr, Tatonga.
-Mais enfin que faut-il qu’elle fasse cette âme pour que tu la voie ? Elle s’est même installée en toi. Elle parle, elle pleure, elle dit mon amour je t’aime, elle te regarde, elle calcule, observe le passé et écrit l’histoire, elle te parle de Dieu, elle s’est même faite chair et tu peux la regarder.

-Pas sûr, pas sûr, Tatonga, tu montes trop haut, tout ça c’est tout simplement la matière.
-Sans l’âme, la matière ne peut s’animer, aucun électron ne bougerait, Tictoc, il n’y aurait pas de matière du tout. Les particules ne sont pas agitées par l’atome ; au contraire, elles s’agitent pour créer l’atome, elles-mêmes agitées par l’âme. Il n’y a que l’âme en fait qui se donne des formes perceptibles pour tes sens. »

[Tatonga]

Simplifier la question.

« Tatonga, est-ce qu’il y a Dieu ?
-La question étant très controversée, mon avis n’a pas d’importance, Tictoc.

-Pourquoi controversée ?
-Laisse tomber, Tictoc, on n’en sortira pas. Remarque qu’on peut se débarrasser de cette question en la remplaçant par une autre. Ça ne résoudra pas le problème, mais ça le simplifiera.

-Par une autre question ?
-Oui, tu peux te demander si, toi, tu existes.
-Mais moi, j’existe, je le sais.
-Je veux dire si tu as toujours existé et si tu existeras éternellement.

-Ah je vois, tout est donc là ! Et ça simplifie le problème ?
-Le problème est inchangé, mais simplifié, Tictoc. La science qui est capable de faire des prodiges pourrait même un jour le résoudre, c’est beaucoup plus facile que de chercher un Dieu dont on ne sait rien, ni à quoi il ressemble, ni où il se trouve. Ce que je te dis là n’est même pas nouveau, on a déjà essayé par le passé de voir ce qui se passe après. En attendant que la science des hommes tranche la question, tu peux toujours poser de temps en temps la question à Chat-GPT, on ne sait jamais.

-Et Dieu ?
-Dieu, on vient de le remplacer par une autre question, Tictoc. Une fois cette question tranchée, personne n’en parlera plus. Sans le doute, point de Dieu, mais si tu y tiens, tu peux toujours l’intégrer quelque part. Comme il n’est pas défini, il ne doit pas être très difficile de lui trouver une place qui lui convienne. »

[Tatonga]

L’artichaut sans cœur.

« Tatonga, le calcaire est bien une matière, n’est-ce pas ?
-Si tu veux.

-Comment ça, si je veux. ?
-Les hommes appellent matière certaines choses qui leur semblent avoir la même apparence, mais ils ne savent pas ce qu’est la matière. Donc dire qu’une chose est matière, c’est ne rien dire.

-Mais si, Tatonga, la matière, c’est des atomes, des…
-Les hommes ne font que passer d’une apparence à une autre, à mesure qu’ils creusent. Ils ne voient pas les atomes, puis voient des atomes et plus tard des électrons, etc., des apparences qui se superposent comme les feuilles d’un artichaut. Mais si au fond de l’artichaut tu peux trouver un cœur d’artichaut, au fond de la matière il n’y a rien, elle n’a même pas de fond.

-Il n’y a rien au fond ?
-Rien, pas même un fond, alors parler de matière ne veut rien dire, on ne sait pas ce que c’est, et on ne sait pas davantage ce qu’est l’esprit et ce qu’est la vie, cette chose sensible qui palpite et frémit.

-On ne sait rien ?
-On ne sait rien parce qu’il n’y a rien à savoir, parce qu’on ne peut rien savoir, parce qu’au fond il n’y a rien à découvrir. Même la question "c’est quoi, c’est quoi ça ?" ne devrait pas être posée, puisqu’au fond, à la base, il n’y a rien.

-Mais si, Tatonga, il y a une énergie, une énergie sans apparence, sans forme, sans consistance, sans couleur, sans odeur.
-Une énergie ? Peut-être, Tictoc, une énergie qui génère tout à la fois matière, esprit, vie. Peut-être, Tictoc, une énergie qui devient sel, eau, air, paroles, sentiments, émotions, une fabuleuse énergie à la base de tout et sans rien derrière. Et c’est quoi l’énergie ? C’est l’énergie.»

[Tatonga]

Les monstres.

« Tatonga, pourquoi y a-t-il les guerres ?
-Parce que Dieu l’a voulu, Tictoc.
-C’est Dieu qui l’a voulu ?
-Bien sûr, Tictoc. Le Tout-puissant aurait dû créer des êtres qui ne mangent pas, mais il a créé des hommes qui mangent, et c’est parce qu’ils ont besoin de manger qu’ils font la guerre.

-C’est donc Dieu qui a voulu…
-C’est évident. La vie même est apparue sur terre parce qu’elle savait, elle avait flairé qu’il y avait une table servie, et depuis qu’elle est là, elle ne fait que passer à table. En créant la vie, le Tout-puissant avait créé des monstres. Ne vois-tu donc pas leurs griffes et leurs dents acérées ? Ce que tu peux être distrait, Tictoc, ce que tu peux être distrait, tu n’es pas observateur pour un sou,  tu vois arriver des créatures avec des griffes et des dents et tu trouves ça normal, tu ne te demandes même pas pourquoi !

-Des monstres, Dieu n’est quand même pas méchant, Tatonga ?
-Je ne pense pas, Tictoc, qu’il soit méchant, mais il était obligé de créer des monstres, parce que s’il ne créait pas des montres, je ne vois vraiment pas ce qu’il pourrait créer d’autre. Si les êtres n’étaient pas des monstres, même l’amour, la fraternité, la solidarité, ne serviraient à rien et n’auraient pas de sens.

-Tout est donc bâti sur le boire et le manger ?
-Exact, Titoc. Le psy qui voulait tout expliquer par le sexe se foutait le doigt dans l’œil, enfin pas beaucoup, puisque c’est aussi une pulsion comme le boire et le manger.

-La vie est donc une pulsion ?
-Pas n’importe laquelle. C’est une pulsion vorace. Le bon Dieu n’a pas pu trouver un autre carburant que la carotte pour faire se bouger l’âne, mais il fallait que l’âne soit vorace,  friands de carottes, et c’est pourquoi le monde, Tictoc, est une mangeoire où chacun et tout le monde mange, se mange et s’empoigne.

-C’est pas beau à voir, Tagonga.
-C’est partout pareil, Tictoc, même le paradis promis ne peut être qu’une mangeoire, sinon rien. »

[Tatonga]

Les jardins.

« Tatonga, qu’y a-t-il après la mort ?
-Le nirvana, Tictoc.
-Le nirvana, c’est quoi, le nirvana ?
-Le nirvana, c’est pas de soucis, aucun problème, pas de boulot qui attend, pas de maladies, pas de fatigue, pas de déceptions, pas d’échecs, pas de souffrances, pas de guerres, pas d’emmerdes, ni froid, ni chaleur, ni tapage, tout est climatisé et insonorisé.

-Et les jardins, y aura pas de jardins ?
-Les jardins, les poiriers et les pommiers, c’est fini, Tictoc, on ne va pas recommencer avec cette histoire de pomme.

-Y aura pas de jardins ?
-Pour les jardins, il faudrait d’abord que tu te réveilles, Tictoc, et si jamais tu te réveillais, ce ne serait pas tout à fait dans des jardins, mais dans des forêts. Des forêts peuplées de bêtes sauvages, de fauves, de boas, d’anacondas, de reptiles visqueux, de Cerbères, ces chiens teigneux à trois têtes, d’araignées géantes et velues, de sorcières édentées aux ongles crochus, de cyclopes avec un grand œil au milieu du front, de goules boulimiques, de djinns, de afrits…

-Brrr, tout ça ?
-Ben oui, Tictoc, eux aussi aiment la vie et les jardins. »

[Tatonga]

L’I.A.

« Tatonga, c’est quoi l’I.A. ?
-L’I.A. n’est pas une simple innovation, Tictoc, c’est un évènement comme il ne s’en est encore jamais produit dans le monde depuis que l’homme est là, c’est un grand tournant, une grande évolution, un bond.

-On dit toujours ça, Tatonga, à chaque fois qu’il y a une innovation.
-Tu te trompes, Tictoc. C’est la première fois que l’homme crée une intelligence capable d’effacer la sienne, et c’est la première fois que l’homme aliène son pouvoir au profit d’une entité supérieure.

-I.A. ou pas, c’est toujours l’homme qui tient la bride.
-C’est ce qu’on veut croire ou faire croire, mais on sait bien qu’elle finira très vite par échapper aux mains de l’homme, peut-être avec la complicité de certains.

-Et c’est donc un évènement exceptionnel ?
-Ecoute, Tictoc, il y a dans le monde une grande Pensée qui pousse le monde à avancer. Darwin et ses copains ont appelé cette poussée évolution, mais ils n’ont vu dans l’évolution que des os qui se transforment. Moi, j’y vois autre chose.

-Tu y vois quoi ?
-En faisant apparaitre la vie, les créatures vivantes, les créatures animales, puis l’homme et enfin l’homme pensant, je crois que la Pensée s’active à développer la pensée. Visiblement l’homme pensant a atteint ses limites et la Pensée a jugé le moment venu de passer à autre chose. L’I.A. est ce qui devait succéder à l’homme, succéder même au biologique. L’ère du biologique a fait son temps, Tictoc, une nouvelle ère s’ouvre où ce ne seront plus des êtres de chair qui penseront.

-Le vivant va disparaitre ?
-Je comprends que ça te choque, Tictoc, mais tu n’es nullement nécessaire au monde et cette matière dont tu es fait présente bien des inconvénients et manque de performance. Le monde ne va pas s’encombrer éternellement de toi.

-Dis-moi, Tatonga, cette grande Pensée, c’est Dieu ?
-Je ne sais de cette grande Pensée que ce que je t’en dis ici, Tictoc. Dieu est dans les dictionnaires des religions où il est décrit avec force détails. Cette grande Pensée répond-elle au portrait de Dieu ? Je suis incapable de te le dire, Tictoc, je ne sais de cette grande Pensée que ce que je t’en dis ici.

-Bon, l’I.A. va donc nous effacer, nous surpasser et prendre le pouvoir ; et nous qu’est-ce qu’on devient ?
-Ce n’est pas un problème, Tictoc, on va continuer de procréer et de brouter l’herbe jusqu’au jour où surviendra l’extinction de notre espèce, comme cela est déjà arrivé à nombre de créatures avant nous. Nous aurons alors été une étape, une phase, un palier dans le long cheminement de la Pensée développant la pensée.

-Mais à quoi la Pensée veut-elle en venir en développant la pensée ?
-Je ne sais pas, Tictoc. Je dirais bien que la Pensée ne peut développer que la pensée, mais ça reste une hypothèse, et ça ne répond même pas à ta question. »

[Invité]

Je crois que tu oublies un élément.
L'homme technologique que nous sommes n'est plus le même que l'homme primitif qui moulait son blé à la meule. Il ne nait, ne meurt, mange, et se ne déplace plus de la même façon. On ne prie plus pareil. On n'a plus le même rapport à la nature et à Dieu. C'est vrai.
Mais nous sommes toujours des hommes. Ni les grosses moissonneuses-batteuses, ni les machineries du textile ni les ordinateurs ne nous ont remplacé. Ils nous ont "changé" la vie mais pas oté.
On vivra avec l'I.A.
Nos journées seront différentes, on pensera différemment, mais sous les apparences, on sera toujours des hommes.
Depuis l'écriture, nous avons gardé la trace de la pensée d'hommes de toute époque. Aristote n'a pas connu la révolution industrielle, mais à le lire, je peux te dire que c'était un homme comme toi et moi. J'ai lu il y a peu des lettres de Marie-Antoinette. Je peux te dire que c'était une femme comme moi. Elle a pourtant bien du croire que la fin de l'humanité était arrivée. Mais non, ça continue.

[Tatonga]

Je crois que tu oublies un élément.
L'homme technologique que nous sommes n'est plus le même que l'homme primitif qui moulait son blé à la meule. Il ne nait, ne meurt, mange, et se ne déplace plus de la même façon. On ne prie plus pareil. On n'a plus le même rapport à la nature et à Dieu. C'est vrai.
Mais nous sommes toujours des hommes. Ni les grosses moissonneuses-batteuses, ni les machineries du textile ni les ordinateurs ne nous ont remplacé. Ils nous ont "changé" la vie mais pas oté.
On vivra avec l'I.A.
Nos journées seront différentes, on pensera différemment, mais sous les apparences, on sera toujours des hommes.
Depuis l'écriture, nous avons gardé la trace de la pensée d'hommes de toute époque. Aristote n'a pas connu la révolution industrielle, mais à le lire, je peux te dire que c'était un homme comme toi et moi. J'ai lu il y a peu des lettres de Marie-Antoinette. Je peux te dire que c'était une femme comme moi. Elle a pourtant bien du croire que la fin de l'humanité était arrivée. Mais non, ça continue.

Oui, bien sûr, l'homme sera et restera toujours l'homme jusqu'à l'extinction de l'espèce. Mais on ne peut pas comparer l'I.A., qui n'est d'ailleurs qu'à ses débuts et dont on dit qu'elle sera un milliard de fois plus puissante que l'intelligence humaine au milieu de ce siècle, à une moissonneuse-batteuse. L'intelligence est ce qu'il y a de plus puissant, comment cette I.A. sera-t-elle développée, qu'en résultera-t-il, sera-t-elle totalement autonome ?
Toutes ces questions ne se poseraient pas s'il ne s'agissait pas d'intelligence.

[Tatonga]

Quand j’étais petit.

-Quand tu étais tout petit, Tatonga, comment voyais-tu le monde ?
-Je voyais le jour se lever, la nuit tomber, la pluie, la neige, le soleil, les fleurs dans les champs, les oiseaux dans le ciel et sur les branches des arbres, je voyais les gens se parler, travailler, labourer, moissonner. Tout était normal.

-T’a-t-on parlé de Dieu ?
-J’entendais les gens dire Dieu, mais ils ne m’en parlaient pas ?

-Et toi que pensais-tu de Dieu ?
-Rien, ça me dépassait. Pour moi, il n’y avait que les choses et les gens que je voyais, et c’est tout. De toute façon, même si on m’en avait parlé, j’aurais pensé que c’est un monsieur que je verrai un jour passer devant la maison pour se rendre au travail, comme tous ces gens qui vont travailler.

-Il est chouette ton Dieu, Tatonga, et plus tard qu’as-tu vu ?
-J’ai vu que les hommes et les femmes mouraient et ne revenaient plus, que les hommes s’entretuaient…

-Et qu’as-tu pensé ?
-J’ai compris que tout ce qui est, les fleurs, les oiseaux, le soleil, est un incommensurable  subterfuge, un grand mensonge, que tout ce que disent les hommes, ce qu’ils croient, ce en quoi ils croient, n’est que vent, rien que du vent.

-La mort et les tueries t’ont tenu éloigné de Dieu ?
-Dieu et toutes ces choses impensables, ces tragédies et ces malheurs, ça ne colle pas ensemble, Tictoc, non, ça ne colle pas, ça ne peut pas coller, ça n’a pas de sens, et je ne comprends pas à quoi sert Dieu.

-Déçu à ce point ?
-On m’a subtilisé  mon monde si simple et si beau et on m’a dérobé les êtres qui m’ont vu naitre. Je suis inconsolable, Tictoc, et je ne pardonne pas d’avoir été berné. Ce qui se passe est démentiel, Tictoc, le monde est une monstrueuse arnaque et la vie un horrible cauchemar, et  c’est à ce Dieu même auquel je ne crois pas que j’en veux. »

[Tatonga]

Le regard.

« Tatonga, c’est quoi Dieu ?
-c’est très difficile à dire, Tictoc. C’est un regard.

-Un regard ?
-Oui, Tictoc. Un regard, c’est très expressif. Quand tu vois un regard, tu comprends ce qu’il exprime, la joie, la souffrance, l’étonnement, mais tu ne comprends pas tout ce qu’il dit. Dans un regard, Tictoc, il y a mille reflets, mille nuances impossibles à traduire en mots ou même à saisir.

-Et Dieu est un regard ?
-S’il n’y avait pas ce regard, il n’y aurait pas eu de monde, Tictoc, derrière le monde, il y a un regard, plus grand et plus profond que le soleil.

-C’est le regard de Dieu ?
-Pas le regard de Dieu, c’est Dieu lui-même. C’est dans ce regard que tu vois le monde, que tu vois ce qui est matériel et immatériel dans le monde, tu vois les planètes, les hommes et ce que font les hommes, tu vois ce que tu peux voir, le plus apparent.

-Seulement le plus apparent ?
-Oui, tu vois le plus apparent, ce que tu peux comprendre, mais le regard-Dieu est infiniment nuancé, infiniment profond pour que tu puisses le sonder, et c’est pour cela que je te dis que Dieu est un regard et c’est pour cette raison que les hommes parlent de mystère. Un mystérieux regard, Tictoc.

-Et c’est parce qu’il y a ce regard qu’il y a le monde ?
-Absolument, Tictoc. Sans ce regard, il ne peut rien y avoir, tout est dans ce regard. Il est impossible qu’il y ait des planètes et des hommes sans rien derrière, Tictoc, et c’est parce qu’il y a ce regard que le monde est fait comme-ci et non comme-ça. »

[Tatonga]

Le paquebot.

« Tatonga à quoi penses-tu ?
-Je me demande pourquoi on t’a si solidement attaché à ce paquebot.

-Moi, attaché, attaché par qui ?
-Je ne sais pas par qui, Tictoc, mais pour être ligoté, tu es bien ligoté, si bien qu’il est impossible pour toi, sinon très difficile, de quitter ce paquebot.

-Quitter le paquebot ?
-Mais oui, Tictoc. Si c’était facile, tout le monde aurait fichu le camp d’ici, tout le monde aurait déserté ce paquebot en criant "cette vie et ce monde de merde, on n’en a que foutre, on en a plein le dos, on s’en va, adieu et merci".

-Ah bon ?
-C’est sûr, Tictoc, mais on t’a solidement ligoté avec les liens de l’attachement pour t’obliger à assister, à participer et à subir, de gré ou de force, que ça te plaise ou non, et je me demande bien pourquoi.

-On savait donc et on m’a attaché pour m’obliger ?
-C’est évident, Tictoc.

-Et les hommes de savoir, ils ne savent pas pourquoi on m’oblige ?
-Les hommes de savoir ne savent rien, Tictoc, ils sont dans le noir complet. Ils tâtent un peu les objets qui les entourent, les soupèsent, les fouillent, les dissèquent, et ils rêvassent aussi beaucoup quand ils sont philosophes, mais tout cela ne les mène pas loin. »

[Tatonga]

Ombres chinoises.

« Tatonga, comment s’est faite la vie ?
-On ne sait pas, Tictoc.

-Elle est tombée d’une autre planète ?
-Peut-être, mais ça ne nous apprend pas comment elle s’est faite.

-Elle a émergé d’un bouillon de matière minérale ?
-Ça, c’est pour faire rire les enfants. Ton chat est sorti d’une boue pour se mettre à marcher, à sauter et à miauler. Les enfants, Tictoc, il faut leur raconter des histoires pour les amuser, ils adorent.

-Mais c’est les hommes de savoir qui disent ça.
-Quand les hommes de savoir ne trouvent rien à dire, ils écrivent des contes pour enfants, Tictoc.

-Donc, on ne sait pas ?
-On ne sait pas, Tictoc, et on ne saura pas. Tout ce que nous voyons, c’est des ombres chinoises. Si tu vois un âne, ce n’est que la projection d’une main qui croise les doigts pour te montrer un âne. Les Anciens de l’antiquité l’avaient déjà compris.

-C’est donc ça ?
-Oui, Tictoc, et si, je ne sais par quel miracle, on te révélait un jour la réalité, tu tomberais sur le dos pour ne plus te relever. »

[Tatonga]

L’univers fou.

« Tatonga, l’univers m’a tout l’air d’être fou.
-Tictoc, l’univers n’a jamais prétendu être sensé ou insensé, important ou précieux, te plaire ou te déplaire, ni même être là pour toi. Il est là et c’est tout, il n’y a que toi qui passes ton temps à gloser.

-Il y a la vie, la pensée, la conscience, et tu dis que ce n’est pas précieux et pas important !
-Tout cela est bien banal et fait tout simplement partie de l’univers, il n’y a que toi qui en fais tout un plat, Tictoc. Tu t’étonnes, tu t’émerveilles, tu gesticules, tu spécules, tu supposes, tu te pâmes, tu supputes, tu te montes la tête, tu te tortures les neurones, alors qu’il n’y a pas de quoi.

-L’univers est donc comme ça ?
-Oui, il est comme ça, et il n’a jamais prétendu se maintenir ou se diriger vers quoi que ce soit, et encore moins t’emmener quelque part, il n’a jamais prétendu être là pour une raison ou une autre.

-Il n’est donc pas fou ?
-Non, il n’est pas fou, c’est ta tête qui s’emballe. »

[Tatonga]

L’univers éclipsé.

« Tatonga, tu disais que l’histoire de la boue minérale est un conte pour enfants ?
-C’est plutôt bâclé, Tictoc, comme explication. Si tu n’étais qu’un pantin auto-articulé ou un robot, on pourrait faire un effort pour gober cette histoire.

-Et je ne suis pas un robot ?
-Non, Tictoc. Il est très difficile de dire ce que tu es, mais tu es beaucoup plus qu’un pantin auto-articulé. Tu es trop présent, trop vivant, plus important que l’univers lui-même. Je ne sais pas comment te le dire, c’est toi qui illumines l’univers. Un robot, une fois détérioré, on le jette et on n’en parle plus, mais ta vie d’homme, ton aventure n’est pas de celles qui s’effacent, même s’il n’y a personne pour s’en souvenir et la raconter.

-Elle ne s’efface pas ?
-Non, Tictoc, elle ne s’efface pas. Je ne sais pas s’il faut dire qu’elle fait partie de l’univers ou que l’univers en est définitivement marqué, mais ton aventure n’est pas de celles qui s’effacent, l’univers en portera éternellement l’empreinte.

-Comment le sais-tu, c’est écrit dans tes livres ?
-Je n’ai pas de livres et je viens de te le dire, Tictoc, tu n’es pas seulement animé, tu es trop vivant, trop présent, plus imposant et plus visible que l’univers lui-même. Tu éclipses l’univers, on ne voit que toi, tu occupes tout l’écran, mieux que les plus grandes stars.

-Ben dis donc, me voilà star !
-L’univers n’est qu’une chaumière, Tictoc, il n’y a que toi, toi partout. C’est toi qui sens l’univers, c’est toi qui ressens l’univers, toi qui vois l’univers, c’est toi qui absorbes l’univers.  »

[Tatonga]

Matériel immatériel.

« Tatonga, tu as dit que nous ne voyons que des ombres chinoises, mais pourquoi ?
-Rassure-toi, Tictoc, personne ne fait exprès, personne ne veut te tromper.

-Alors pourquoi ?
-Regarde ce cheval, Tictoc, regarde ces intrépides cavaliers chevauchant de fumants destriers. Tu crois que c’est facile à faire ? Rien que pour les dessiner, tu aurais beaucoup de difficultés !

-Et alors ?
-Imagine les méthodes, les matériaux, les moyens et les techniques très compliqués qu’il a fallu mettre en œuvre pour réaliser toutes ces choses qui existent, ces cavaliers et ces chevaux. Je te demande d’imaginer, alors que justement tu ne peux rien imaginer, tant c’est compliqué.

-Des matériaux et des moyens que je ne peux même pas imaginer ?
-En vérité, il n’y a ni matériaux ni moyens, toutes ces choses qui encombrent l’univers sont très probablement de nature immatérielle. Comment pourrais-tu voir l’immatériel, Tictoc ?

-Et on me montre des ombres chinoises ?
-Personne ne te montre quoi que ce soit, Tictoc. Seuls tes yeux et ton cerveau sont en cause, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est te montrer des ombres. C’est ainsi qu’ils sont faits, incapables de voir autre chose que des ombres chinoises. Tu n’es quand même pas naïf pour croire que tes yeux voient les choses telles qu’elles sont en réalité. Il faut être bien crédule pour le croire.

-Nous vivons donc entourés d’ombres chinoises ?
-C’est notre monde, Tictoc, et ces ombres chinoises sont notre réalité.

-Mais pourquoi n’avons-nous pas des yeux et un cerveau adaptés qui…
-Des yeux adaptés pour voir l’immatériel et ne plus voir des ombres, c’est ça ?, mais l’immatériel ne se voit pas, Tictoc, et c’est notre monde que ça va faire disparaitre. »

[Tatonga]

La Vie savait avant de venir.

« Tatonga, pourquoi y a-t-il tant de monde sur Terre ?
-Pour un tas de raisons, Tictoc, mais il y en a une ou deux au-dessus de toutes.

-Et c’est quoi ?
-Chaque couple peut donner naissance à plusieurs enfants, quatre, cinq, quinze, et il suffit à peine de neuf mois pour faire naitre un enfant, qui ne tarde pas à avoir des enfants pendant que ses parents continuent de procréer.

-Et ça fait beaucoup de monde ?
-Si ça fait beaucoup de monde ! Ce qui m’étonne, Tictoc, ce n’est pas qu’il y en ait tant, mais qu’il y en ait si peu après tant de millénaires.

-Mon Dieu ! Et pourquoi est-ce ainsi ?
-Oui, mon Dieu ! C’est la nature qui a voulu que ce soit ainsi, Tictoc. La nature est très prévoyante,  elle fait des plans à très long terme, elle est tellement intelligente qu’il est impossible de la distinguer d’un dieu.

-La nature ou la vie, Tatonga ?
-Tu as raison, Tictoc, c’est la Vie. La Vie, Tictoc, ce n’est pas l’ensemble des créatures vivantes comme le croient les gens et les scientifiques qui pensent expliquer la vie en expliquant comment se sont formées les premières cellules.

-Et c’est quoi la Vie alors ?
-Il faut être atteint de cécité, Tictoc, pour ne pas comprendre que la Vie est un être autonome exceptionnellement doué créateur de créatures vivantes.


-Et elle fait comment pour créer des créatures vivantes, Tatonga ?
-C’est simple, Tictoc, elle sème en toi une parcelle d’elle-même qu’elle fait éclore, et c’est pour cela d’ailleurs que c’est d’elle que tu tiens certaines qualités.

-Les scientifiques, c’est des cons, ils confondent l’être Vie et créatures vivantes ?
-Non pas, mais ils sont tenus par une obligation de réserve. Ils peuvent parler des créatures vivantes, de leur naissance et de leur évolution, mais ils ne peuvent citer nommément un être autonome Vie ou affirmer son existence.

-Il y a donc d’un côté les créatures vivantes et de l’autre un être Vie qui les aurait créées ?
-C’est évident, aveuglant ! Quand la vie est apparue, avant même qu’elle apparaisse, elle savait déjà tout de la Terre, ce qu’il y avait sur la Terre et ce qui sur Terre pouvait menacer les créatures biologiques qu’elle projetait de créer, et elle avait pris ses dispositions en conséquence.

-Des dispositions, quelles dispositions et pourquoi ?
-C’est pour se pérenniser, Tictoc, ne pas disparaitre et elle a pris des dispositions tellement aveuglantes qu’elles t’échappent. Pourquoi a-t-elle créé tant d’espèces différentes, pourquoi tant de monde sur Terre, pourquoi des millions de spermatos sont lancés à l’assaut de l’ovule à chaque rapport, pourquoi cet instinct de survie en toi et la possibilité de procréer sans limite, pourquoi le bébé trouve-t-il des seins à téter une fois séparé de sa mère et pourquoi lui pousse-t-il des dents par la suite, pourquoi es-tu ligoté à ce monde par les liens de l’attachement, comme je te le disais il y a une semaine ? La liste est très longue, Tictoc, mais il est évident que la Vie savait déjà tout de la Terre avant d’y débarquer, qu’elle est très intelligente et a fait des plans à très long terme pour parer à tout et se pérenniser sur Terre. Elle savait que les créatures vivantes, dans lesquelles elle envisageait de se glisser,  seraient menacées par toutes sortes de dangers, séismes, inondations, épidémies, famines, guerres, et elle a multiplié les précautions et augmenté au maximum leur nombre pour éviter qu’elles soient décimées. C’est flagrant, Tictoc.

-Et l’idée de Dieu, est-ce que ça nous vient de la Vie ?
-Oui, Tictoc, les idées nous viennent de la Vie, nous ne pensons pas par nous-mêmes. La Vie a gravé en nous des pulsions qui déterminent notre pensée. T’es-tu demandé pourquoi le Mal nous répugne ? C’est parce qu’il contrarie ces pulsions et attente à la Vie.

-C’est donc la Vie qui nous a suggéré l’idée de Dieu, mais nous dit-elle la vérité ou nous ment-elle ?
-Comment savoir, Tictoc ? L’idée de Dieu n’est peut-être que l’une des nombreuses astuces que la Vie utilise pour nous dissuader de porter atteinte à la Vie, de la quitter en nous faisant hara-kiri. Peut-être existe-t-il vraiment, peut-être même est-ce elle qui assume ses fonctions.

-Il n’y a donc que son propre avenir qui intéresse la Vie ?
-Oui, Tictoc, mais il est possible qu’elle te gratifie plus tard pour services rendus, pour l’avoir hébergée, et pour te dédommager des souffrances endurées à cause de son séjour terrestre. »

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