Re: Pérégrinations 4.

[Tatonga]

Les douleurs de l’enfantement.

« Tatonga, cette âme du monde qui s’anime, a-t-elle une intention ?
-Je ne sais pas, Tictoc, mais on ne peut dire qu’elle s’anime pour rien.

-Alors, elle s’anime pourquoi ?
-Je ne sais pas, Tictoc, mais d’après ce que je sais, je crois qu’elle erre depuis très, très longtemps, souffrant les douleurs de l’enfantement.

-Mais pour enfanter quoi ?
-La vie, Tictoc. A part la vie, que veux-tu qu’elle enfante d’autre, et ce n’est pas facile, Tictoc, pas facile.

-Elle doit être bien contente maintenant.
-Je ne pense pas que ce soit fini, Tictoc, il y a encore beaucoup à faire et à parfaire. C’est une œuvre grandiose et nous n’en sommes qu’au début.

-Elle œuvre à parfaire ?
-Oui, Tictoc, depuis des millénaires, elle fait évoluer pour obtenir mieux. Mais en vérité, je pense à tout à fait autre chose. Avant de connaitre cette vie-ci, aurais-tu pu seulement imaginer que cette vie pût exister ? Non, c’est impossible ! Eh bien voilà, je pense que cette âme qui s’anime travaille encore à réaliser quelque chose de totalement différent de tout ce que tu as connu, quelque chose que personne ne pourrait jamais se représenter tant qu’il ne l’aura pas vécu. Le monde, Tictoc, ne s’arrête pas à ce que tu en as connu, son cheminement est infini, aucune lumière avec sa vitesse ne pourrait jamais en faire le tour. »

[Tatonga]

Même la lumière…

« Tatonga, même la lumière…
-La lumière court depuis si longtemps, Tictoc, à presque 300 000 km par seconde. Regarde le ciel, Tictoc, tu peux voir une partie de l’univers, tu peux voir des corps célestes et des lumières. Certaines proviennent de soleils déjà éteints avant même l’apparition de l’homme.

-Mon Dieu !
-Eh oui, Tictoc, des galaxies et des galaxies, encore des galaxies à perte de vue, et l’homme sait remonter très loin dans le temps et aller très loin dans l’espace, c’est un sacré bonhomme, mais que peut-il faire, il n’est rien dans ces immensités.

-L’homme est très intelligent ?
-Oui, Tictoc, il sait beaucoup de choses de ce qui s’est passé avant qu’il n’arrive lui-même sur Terre et de ce qui se passe très loin de lui, il se connait lui-même, il sait voler sans ailes, nager sans nageoires, sur et sous l’eau… mais il n’est rien, rien, Tictoc, tant tout est immense. Peut-être sans fin, mais on ne sait pas. Comment savoir, Tictoc ?

-Tatonga, est-ce que notre intelligence nous vient de la matière ?
-Oh non, Tictoc, nous ne sommes pas des robots. Notre intelligence, nos émotions, nos sentiments sont humains. Nous sommes des humains, Tictoc, pas des robots, des humains, pas des boites qui génèrent, réagissent et stockent l’électricité, pas des turbines, des générateurs électriques, des batteries où des piles.

-C’est vrai, Tatonga, je sens bien que je suis humain, et est-ce qu’il y a une vie intelligente ailleurs ?
-On ne sait pas, Tictoc, on est si peu, si petit, et notre intelligence ne porte pas plus loin qu’un pâle halo.

-Et est-ce qu’il y a Dieu, Tatonga ?
-Sais-tu ce que signifie le mot Dieu, Tictoc ? Cela signifie que l’univers a un sens et une logique. Après, chacun essaie à sa manière d’imaginer ce sens et cette logique. Oui, je pense qu’il y a un sens et une logique, mais je suis incapable de t’en dire davantage.

-Possible aussi, Tatonga, que la logique et le sens de l’univers soient tout simplement d’être, possible que la finalité de l’univers soit d’être tel qu’il est, sans plus, possible qu’il soit sa propre finalité.
-Non, Tictoc, car si c’était le cas pourquoi apparaitraient au sein de cet univers des êtres intelligents et sensibles ? Ce n’est pas une raison, ils n’auraient rien à y faire et cela ne peut pas être fortuit, pas plus fortuit que de se trouver armé d’un chalumeau devant un coffre-fort. L’intention est indéniable, Tictoc. »

[Tatonga]

Des mondes.

« Tatonga, est-ce qu’on aurait pu avoir un autre monde ?
-Qu’est-ce que tu appelles monde, Tictoc ?

-Disons un autre monde que celui que je vois, que celui où je vis, fait de montagnes, d’océans, de plaines, d’astres…
-Je vois, je vois, Tictoc, le monde que tu vois ressemble un peu à ton village natal avec un petit ruisseau en bas et, à gauche, un figuier centenaire et tu te demandes s’il n’était pas possible d’avoir un autre monde.

-Eh bien voilà, c’est ça, Tatonga, ce que je veux dire.
-Un seul monde pour tout l'univers serait trop simple, très réducteur, trivial même, Tictoc. En vérité, il n’y a pas un monde, mais infiniment de mondes, il y a tous les mondes en même temps. L’univers, Tictoc, n’est pas un petit village ou une simple carte postale.

-Il y a tous les mondes en même temps ?
-C’est certain, Tictoc. Toi et toutes les créatures vivantes de ce monde ne voyez que votre monde, vivez dans le monde où vous vous trouvez et vous croyez que c’est le seul et unique monde qui existe.

-Il y a d’autres mondes ?
-Une infinité de mondes, Tictoc, et une infinité de formes de vie, mais tu ne peux voir que le monde pour lequel tu es fait. Je crois que c’est toi qui conçois ton monde, et tu vivrais donc dans le monde que tu es capable de concevoir, de créer par ta pensée, pour toi-même, toi et tous les vivants qui vivent sur Terre, car vous êtes tous apparentés. L’univers est infiniment riche en possibilités, Tictoc, ce n’est pas un petit village. D’autres êtres doués d’autres pensées évoluent dans d’autres mondes ; toi-même, tu viens certainement d’un autre monde et tu repartiras dans un autre monde.

-C’est moi qui crée mon monde par ma pensée ?
-Oui, Tictoc, c’est ta pensée qui crée ton monde. »

[Tatonga]

La fourmi.

« Tatonga, y a-t-il Dieu ?
-Si tu poses la question à une fourmi, Tictoc, elle te répondra par un haussement d’épaules.

-Par un haussement d’épaules ?
-Oui, Tictoc, par un haussement d’épaules. La fourmi suit son chemin, va de l’avant sans s’arrêter, contourne les obstacles qu’elle ne peut surmonter, et continue d’avancer.

-Ah bon ?
-Une semelle peut à tout moment l’écraser, un vent violent ou un torrent l’emporter, elle n’y peut rien et n’y pense même pas, elle suit son chemin et advienne que pourra. Dieu, ce n’est pas son affaire, ça ne la regarde pas.

-Mais nous avons des religions, Tatonga !
-Ne te contrains à rien, Tictoc, choisis la religion qui te convient ou n’en choisis aucune si aucune ne te convient, efforce-toi de tout bien faire et laisse-toi guider par toi-même, tu sauras reconnaitre ce qui satisfait ton cœur ou qui rebute ta conscience, tu sauras trouver le chemin qui t’apaise, et c’est aussi une religion. Le reste ne dépend pas de toi, Tictoc, il ne te concerne pas et tu ne peux rien y changer. Suis ton chemin, tu n’as pas demandé à être là, tu ne peux savoir comment et pourquoi tu y es, ni qui tu es, et s’il y a quelque chose à savoir et à voir, tu le verras bien en son temps. »

[Tatonga]

L’Au-delà.

« Tatonga, pourquoi toutes les grandes questions que se pose l’homme sur l’univers ne trouvent pas réponses ?
-Parce que l’univers a son origine ailleurs, dans l’Au-delà. Sans lui ressembler, il en est le prolongement, il en est un prolongement, un iceberg transfiguré.

-Ah bon ?
-Entre ce monde-ci et l’Au-delà se dresse un écran opaque pour toi.

-Et il se trouve où cet Au-delà, Tatonga ?
-L’Au-delà, Tictoc, n’est pas une aire géographique, ni un autre temps. Mais tu ne peux pas y accéder parce que tu n’as pas l’intelligence et les sens qu’il faut pour l’appréhender. Tu es fait pour ce monde-ci. L’autre, l’Au-delà, t’échappe.

-Et si je passe dans l’Au-delà, est-ce que je verrai ce qui se passe dans notre monde actuel ?
-Je ne sais pas si tu y passeras, Tictoc, mais pour y passer, il faudrait que tu sois différent, que tu te dépouilles de tout ce qui fait de toi une créature de ce monde et que tu acquières d’autres facultés. Y passeras-tu et verras-tu, je ne sais pas, Tictoc. »

[Tatonga]

Le Tout.

« Tatonga, qu’appelles-tu le Tout ?
-J’appelle le Tout, tout ce qu’il y a, Tictoc, j’y mets ce que tu appelles le monde ou l’univers, j’y mets aussi l’Au-delà qui, pour moi, existe bien et représente ce que tu ne peux appréhender par ton intellect et tes sens, je n’exclus rien, Tictoc.

-C’est donc tout ce qu’il y a.
-Oui, Tictoc, le Tout est un ensemble qui englobe tout. Rien ne peut y être sans raison et rien ne peut en être retranché. C’est forcément un ensemble cohérent, organisé, dont tous les éléments sont indispensables et solidement intégrés et interconnectés. Aucun corps étranger ne peut s’y trouver et rien n’y est inutile.

-Ça tombe sous le sens, Tatonga, car je ne vois vraiment pas d’où pourrait venir un corps étranger, ni où pourrait se perdre un fragment de ce Tout.
-Oui, Tictoc, faute de cette intégration intégrale, il n’y aurait rien, aucun monde, tout se désintègrerait en grains de sable qu’emporteraient les vents. Toi-même, tu fais partie à jamais de ce Tout, Tictoc. Sous une forme ou une autre, tu y figureras toujours pour tenir un rôle actif, car tout ce qui est dans le Tout s’active pour que le Tout soit. »

[Tatonga]

Pourquoi ?

-Tatonga, pourquoi y a-t-il le monde ?
-Personne ne le sait, Tictoc. Certains ont donné un avis, une opinion, avancé des thèses, mais ce ne sont que des points de vue, aucune réponse n’est vraie. Rien que des suppositions indéfendables, aucune certitude.

-Il n’y a pas de réponse ?
-C’est que le monde est fait de tout et de son contraire, Tictoc, de lumière, de couleurs, de rires et de bonheurs, de larmes, de souffrances, de drames, de vie et d’êtres vivants qui finissent tous par succomber à l’épuisement et, quand il s’agit d’hommes, à l’ennui et à l’écœurement, écœurés par le comportement même de leurs semblables. Pourquoi le monde ? Il n’y a pas de réponse, Tictoc.

-Mais d’où vient alors la question pourquoi.
-Elle vient de l’homme, Tictoc. Que l’homme, lui-même issu du monde, pose une telle question est inattendu, inexplicable. En posant la question pourquoi, l’homme transcende le monde, Tictoc, et c’est incompréhensible. »

[Tatonga]

L’humanité.

« Tatonga, c’est quoi l’humanité ?
-Tictoc, il faut d’abord savoir qu’il y a Dieu, depuis toujours, depuis le début, il est toujours là et sera toujours là, pour l’humanité.

-Pour l’humanité ?
-Dieu et l’humanité sont là l’un pour l’autre, Tictoc. Dieu pour l’humanité et une humanité pour Dieu.

-Tant mieux, Tatonga, mais c’est quoi l’humanité ?
-L’humanité, Tictoc, est là depuis très longtemps. Y a-t-il eu de plus en plus ou de moins en moins d’humanité ? Comment savoir ? Y a-t-il même une humanité, y a-t-il jamais eu une humanité, Tictoc ? Ou est-ce l’homme qui a usurpé le nom d’homme pour se dire humanité ?

-Usurpé ?
-Comment reconnaitre une humanité, Tictoc, et comment la distinguer de l’animalité ? Le sais-tu, Tictoc ? Et s’il n’y a pas d’humanité, que va devenir le bon Dieu ?

-Grand problème, Tatonga !
-Jusqu’ici, tu pouvais mourir avec la satisfaction d’appartenir à Dieu, ou du moins à l’humanité et donc aux deux, mais s’il n’y a pas d’humanité, Tictoc ? »

[Tatonga]

Cette chose-là.

« Tatonga, qu’est-ce qui est extraordinaire dans le monde ?
-N’accorde aucune importance à ce que tu vois, Tictoc. Les planètes, les montagnes, les fleuves, les plaines, n’ont aucune importance. Le monde n’est pas un bric-à-brac d’objets, mais un système organisé et gravitant autour d’une seule chose.

-Qu’est-ce qui est important alors ?
-Il n’y a qu’une seule chose, Tictoc, tellement difficile à concevoir et à nommer que les hommes n’en ont pas assez de tous leurs mots pour lui donner un nom. Elle est le centre, le pivot et le miroir du monde. Tout ce que tu vois en émane. C’est le pivot, la plaque tournante de tout ce que tu vois et perçois.

-Et on ne sait pas comment l’appeler ?
-On l’a appelée âme, on l’a appelée esprit, on l’a appelée conscience, chaque langue y est allée avec ses mots, mais aucun de tous ces vocables ne suffit. Cette chose, pivot, miroir et plaque tournante du monde est vivante, tictoc, vivante, sensible, intelligente, tout en émane et s’y reflète, y compris elle-même, car il n’y a qu’elle qui peut se voir.

-Et cette chose est en moi ?
-Oui, Tictoc, en toi, pour ne pas dire que c’est toi, et tu en as conscience et connaissance de façon immédiate, sans l’intermédiation d’aucune réflexion ou raisonnement, car c’est elle-même, à la fois objet et sujet de connaissance et de conscience, qui s’appréhende directement. C’est un œil qui regarde et se regarde. Elle est créative, Tictoc, et je ne crois pas qu’il y a eu création une seule fois, la création est perpétuelle, se poursuit, se continue, elle est de tous les instants.

-Le monde, c’est donc cette chose-là ?
-Tu peux dire, Tictoc, qu’il n’y a en fait que cette chose-là et que tout le reste est sans importance. »

[Tatonga]

Cette chose-là.

« Tatonga, qu’est-ce qui est extraordinaire dans le monde ?
-N’accorde aucune importance à ce que tu vois, Tictoc. Les planètes, les montagnes, les fleuves, les plaines, n’ont aucune importance. Le monde n’est pas un bric-à-brac d’objets, mais un système organisé et gravitant autour d’une seule chose.

-Qu’est-ce qui est important alors ?
-Il n’y a qu’une seule chose, Tictoc, tellement difficile à concevoir et à nommer que les hommes n’en ont pas assez de tous leurs mots pour lui donner un nom. Elle est le centre, le pivot et le miroir du monde. Tout ce que tu vois en émane. C’est le pivot, la plaque tournante de tout ce que tu vois et perçois.

-Et on ne sait pas comment l’appeler ?
-On l’a appelée âme, on l’a appelée esprit, on l’a appelée conscience, chaque langue y est allée avec ses mots, mais aucun de tous ces vocables ne suffit. Cette chose, pivot, miroir et plaque tournante du monde est vivante, tictoc, vivante, sensible, intelligente, tout en émane et s’y reflète, y compris elle-même, car il n’y a qu’elle qui peut se voir.

-Et cette chose est en moi ?
-Oui, Tictoc, en toi, pour ne pas dire que c’est toi, et tu en as conscience et connaissance de façon immédiate, sans l’intermédiation d’aucune réflexion ou raisonnement, car c’est elle-même, à la fois objet et sujet de connaissance et de conscience, qui s’appréhende directement. C’est un œil qui regarde et se regarde. Elle est créative, Tictoc, et je ne crois pas qu’il y a eu création une seule fois, la création est perpétuelle, se poursuit, se continue, elle est de tous les instants.

-Le monde, c’est donc cette chose-là ?
-Tu peux dire, Tictoc, qu’il n’y a en fait que cette chose-là et que tout le reste est sans importance. »

[Tatonga]

Un autre.

« Tatonga, est-ce que j’aurais pu être différent ?
-Que veux-tu dire ?

-Avoir un autre corps, un autre caractère.
-La question n’a pas de sens, Tictoc. Un autre caractère et un autre corps, c’est un autre, pas toi.

-Donc, moi, je suis comme je devais être ?
-Exactement, Tictoc. On peut dire qu’au tout début, il y a très, très longtemps, s’est déclenché ce qui devait faire se succéder de longues chaines de causes et d’effets, de circonstances et de conjonctures qui ne pouvaient aboutir qu’à toi. Tu es fait exactement comme tu devais être fait, Tictoc, tu n’avais aucun pouvoir de changer les forces qui t’ont façonné.

-Au cours de ma vie, j’aurais pu changer beaucoup de choses par ma volonté, Tatonga.
-Ta volonté est elle-même déterminée, forgée par des forces sur lesquelles tu n’avais aucune prise. Tout au long de ton parcours, ta volonté a eu tout le loisir de s’exercer comme elle le pouvait, autant qu’elle le pouvait, ni plus ni moins, et le résultat est là, c’est toi.

-Dans ce cas, je ne suis responsable de rien, Tatonga.
-Non, Tictoc, tu n’es responsable de rien. Tu n’as aucun pouvoir propre qui te responsabilise, tu es entièrement déterminé par des forces extérieures.

-Et donc aucun mérite, non plus.
-Non, aucun mérité personnel. Chacun subit son sort. »

[Brahim]

Cette chose-là.C’est un œil qui regarde et se regarde.

Bonjour Tatonga,
J'aime bien cette image d'un "œil qui regarde et se regarde"
Quant à moi, sur le même sujet, je vois "le Soleil des soleils" ou "la Lumière des lumières".

[Tatonga]

Bonjour Brahim,

L'Extrahumain.


« Tatonga, c’est quoi le monde ?
-Il y a tout, Tictoc, dans le monde. Des galaxies, des soleils, des planètes, des astéroïdes, des gaz, des vents, des montagnes, des fleuves, des champs, des fleurs, des arbres, des lumières, des hommes, des araignées, des oiseaux, des poissons, des moustiques, des vipères…

-Oui, mais c’est quoi ?
-Une infinité de choses animées, Tictoc, de toute nature, de toute forme, abstraites et concrètes, qui s’attirent, se repoussent, s’unissent, se désunissent, s’agrègent, se désintègrent, s’aiment, se détestent, subissent la loi de l’attraction et de la répulsion.

-Oui, je sais, mais c’est quoi ?
-Et beaucoup de massacres, Tictoc, dans ce monde. Des guerres partout, sur tous les continents, guerre en Ukraine, génocide en Palestine, hécatombes, fusillades, assassinats, meurtres, carnages, homicides, parricides, matricides, infanticides, féminicides, depuis longtemps, depuis toujours, partout…

-Quoi ? Des hommes tuent d’autres hommes ?
-Oui, Tictoc.

-Dis-moi, Tatonga, est-ce que c’est une grande conscience qui a créé ce monde ?
-Sans une grande conscience, il n’y aurait pas eu de monde du tout, Tictoc, tu t’en rends bien compte, surtout pas ce monde tel que nous le connaissons, tu le sais, tu le sens. Derrière la grande diversité des choses qui le composent, ses contradictions et son apparence souvent déconcertante, tu sens et tu sais qu’il y a quelque chose qui en assure la cohésion et la cohérence.

-Je n’arrive pas à comprendre cette grande conscience, Tatonga.
-Tu n’es pas le seul à ne pas comprendre, Tictoc. Nous disons conscience, âme, esprit, intelligence, par analogie avec ce que nous sommes nous-mêmes, mais nous ne savons rien de ce maitre d’orchestre extrahumain. Il fait plus que penser, calculer, raisonner, construire, c’est un pouvoir mystérieux insaisissable pour nous, Tictoc, qui se situe au-delà de notre entendement humain. »

[Brahim]

-Je n’arrive pas à comprendre cette grande conscience, Tatonga.
-Tu n’es pas le seul à ne pas comprendre, Tictoc. Nous disons conscience, âme, esprit, intelligence, par analogie avec ce que nous sommes nous-mêmes, mais nous ne savons rien de ce maitre d’orchestre extrahumain. Il fait plus que penser, calculer, raisonner, construire, c’est un pouvoir mystérieux insaisissable pour nous, Tictoc, qui se situe au-delà de notre entendement humain. »

C'est la définition même de Dieu tel que je le conçois.

[Tatonga]

Empathie universelle.

« Tatonga, que penses-tu de l’homme ?
-J’imagine l’homme il y a très longtemps, Tictoc, à l’époque préhistorique par exemple, quand il n’était qu’une bête sauvage portée par son instinct animal à détruire tout ce qui pouvait se trouver sur son passage.

-Oui, et alors ?
-Comment, Tictoc, un tel monstre a-t-il pu survive à cette époque-là, comment a-t-il pu avoir et élever des petits ?

-Bah, Tatonga, il avait compris avec le temps l’intérêt qu’il avait à composer avec ses semblables et à adoucir ses moeurs.
-Tu crois qu’il avait mûrement réfléchi à sa relation avec les autres ? Non, Tictoc, ce vivre-ensemble ne pouvait pas être le résultat d’une réflexion ou d’une stratégie. Pas à cette époque-là, Tictoc.

-Alors c’est quoi ?
-Il est évident, Tictoc, que dès le début, il y avait en l’homme, un sentiment d’amour inné pour ses semblables. Instinctivement, il s’était reconnu en eux.

-Un sentiment inné ?
-Oui, Tictoc, nous ne sommes pas liés aux autres par de simples conventions sociales ; nous sommes unis par un très fort sentiment d’amour réciproque ; et c’est cette empathie naturelle qui explique que nous avons toujours foi aujourd’hui en l’humanité, malgré le comportement des uns et des autres.

-Mais qui sommes-nous donc, Tatonga ?
-Nous sommes tous semblables, Tictoc, aucune de nous ne diffère des autres ?

-Oui, mais moi, par exemple, qui suis-je ?
-Qui tu es est la question la plus simple qui soit, Tictoc. Toi, tu es toi, c’est tout, il n’y a rien d’autre à savoir, car tu es indéfinissable, indescriptible, indécomposable. Toi, c’est toi, ni plus ni moins, unique et semblable à tous les autres.

-Je ne suis pas mon corps ?
-Non, Tictoc. Tu sais bien que tu changes de corps à tout instant, tu n’as jamais le même corps, tu n’es donc pas ton corps, Tictoc.

-Je suis mes défauts et mes qualités alors ?
-Non, Tictoc, des défauts et des qualités, tu en changes aussi et, tout comme ton corps, ce ne sont que des costumes de circonstance que tu portes pour te manifester dans ce monde, mais ce n’est pas toi. Derrière ces déguisements et toutes les boues que tu as pu ramasser en te roulant dans la gadoue de cette vie, il y a le vrai toi pur et innocent que tu as toujours été et que tu redeviendras une fois désembourbé de ce monde. »

[Tatonga]

L’homme inutile.

« Tatonga, est-ce que l’existence de l’homme est nécessaire ?
-Pourquoi veux-tu qu’il soit nécessaire ? L’homme peut bien exister sans servir à rien et à personne, Tictoc.

-Il peut exister comme ça, sans être utile à rien ?
-C’est très probable, Tictoc, pour ne pas dire c’est certain. Tu vois bien qu’il ne sert à rien, son existence constitue même un grand problème pour lui-même.

-Un grand problème ?
-Mais oui, Tictoc. Tu ne te connaissais ni d’Adam ni d’Ève, n’est-ce pas ?, et voilà que, sans l’avoir voulu, sans que tu le saches, tu te retrouves embarqué dans une aventure incroyable que personne n’aurait jamais pu imaginer, obligé de subir mille contraintes d’un monde extérieur hostile et d’assumer mille et une obligations envers d’autres personnes aussi inconnues que tu l’es toi-même. Franchement, Tictoc, on ne sait plus où s’arrête la fiction et où commence la réalité.

-C’est peut-être Dieu qui a besoin de l’homme, Tatanga…
-Oh ça va avec tes histoires, Tictoc ! Comme disait je ne sais quel philosophe, que peut bien avoir besoin Dieu d’un portefaix qui se soûle de gin dès 8 heures du matin ? Et ne me dis pas que c’est parce qu’il veut être adoré ; moi-même, qui ne suis pourtant rien, ça m’emmerderait que tu m’adores.

-L’homme est donc là sans raison et sans que rien et personne l’ait voulu ou en ait eu besoin ?
-Oui, Tictoc, tu es là et personne ne se soucie de savoir qui tu es, ce que tu fais, dis, bois ou mange, et encore moins de te donner à manger.

-Mais comment est-il possible, Tatonga, que l’homme apparaisse tout seul ?
-La question se poserait, Tictoc, si l’homme était nécessaire ou utile, mais comme il est parfaitement inutile, il est tout à fait logique que personne ne se soit soucié de le faire apparaitre. Qui veux-tu se donne la peine de faire apparaitre ce qui ne sert à rien, Tictoc ? Et on peut en dire autant du monde, Tictoc : il ne sert à rien non plus. »

[Tatonga]

Le monde inutile.

-Tatonga, tu dis que le monde est inutile, mais comment est-il apparu ?
-Certainement de la manière la plus simple, Tictoc. J’ai longtemps cru que le monde était là depuis toujours, mais c’est évidemment une erreur, une absurdité. Une cause bien matérielle a provoqué son apparition et il disparaitra quand cette cause et ses effets disparaitront. Il ne restera alors que ce que tu appelles le néant.

-Et c’est quoi cette cause, le Big Bang ?
-Ça pourrait être le Big Bang ou quelque chose de similaire. Pour l’instant, ne cherche pas trop à savoir comment cela s’est produit. C’est une question de physique et la science, qui souvent nous révèle des choses inattendues, défiant même la raison, finira un jour par tout expliquer, pour peu qu’elle en ait le temps.

-La cause est donc physique…
-Les êtres surnaturels n’ont jamais existé, Tictoc, personne n’en a jamais vu ou rencontré un seul, ils sortent tous de ton imagination.

-Et ce monde est inutile ?
-Rien qu’en comptant depuis le Big Bang, cela fait 14 milliards d’années que ce monde est là et personne n’y a rien compris. Il y a de quoi en avoir plein le dos de ce monde, Tictoc, sans queue, ni tête, ni sens. Quatorze milliards d’années qu’il est là à terroriser les hommes et les créatures vivantes de la naissance à la mort. C’est la seule certitude que nous en ayons, Tictoc.

-Terroriser ?
-Mais oui, Tictoc, terroriser, torturer et rendre fous les hommes au point qu’ils s’imaginent être dirigés et entourés d’êtres surnaturels. Il y a de quoi perdre la raison, Tictoc, quand on ne sait rien de son passé ni de son devenir, ni du lieu de son séjour. S’il y a des fous et des fous de Dieu, c’est à cause de ce monde, Tictoc, aussi sourd et muet qu’un pot d’argile.

-Bon, supposons, mais cette cause matérielle qui se manifeste toute seule, ça ne me parait pas très convaincant.
-Je t’expliquerai ça la prochaine fois, Tictoc. »

[Tatonga]

La cause.

« Tatonga, tu dis que la cause du monde est matérielle, mais d’où vient cette cause ?
-Soyons d’abord sérieux, Tictoc. L’idée qu’une goule, d’un Odin ou d’un elfe, ou de je ne sais quoi qui aurait décidé de faire apparaitre le monde, ça ne fait pas du tout sérieux. Tout ce qui est le monde a une cause matérielle ou en est l’effet. Il n’y a nulle place pour la magie.

-Oui, mais d’où vient cette cause ?
-Nous en savons très peu du monde, Tictoc, la pensée humaine n’est qu’à ses débuts et nous avons encore beaucoup à apprendre. Dis-toi aussi, Tictoc, que la pensée humaine n’est jamais que la pensée d’un moment. En même temps qu’elle découvre, elle évolue elle-même, se restructure, se transforme, et ce qui parait illogique à une époque donnée peut basculer dans le logique.

-L’illogique devenir logique ?
-Eh oui, Tictoc, la pensée humaine n’est jamais définitive, elle se métamorphose et s’adapte. Cette cause matérielle qui te parait aujourd’hui relever de l’impossible, te paraitra tout à fait possible dès que la science en aura révélé le secret.

-La pensée change ?
-Oui, Tictoc. Rappelle-toi le « Dieu ne joue pas aux dés » d’Einstein. Sa pensée du moment, nourrie de physique classique, a été choquée par ce que révélait la physique quantique. L’illogique s’imposait et devenait possible.

-Tant que ça ?
-On peut en dire autant de la relativité restreinte de ce même physicien. Très difficile pour ne pas dire impossible, même aujourd’hui, de comprendre que le temps et l’espace jouent à l’élastique.

-La pensée humaine n’est donc pas un étalon immuable ?
-Non, Tictoc, ce n’est jamais que la pensée d’un moment. Sans chercher loin, certains ont encore du mal à croire que la Terre est ronde, ils restent accrochés à une ancienne logique dont ils n’arrivent pas à se départir. Avant la découverte du feu, tu aurais dit que c’est impossible. Avec le temps, ta pensée a fini par intérioriser cet impossible. Le grand César aurait pris ses jambes à son cou, s’il avait vu rouler ton véhicule automobile. La pensée a changé et il n’aurait guère été étonné aujourd’hui.

-La cause matérielle du monde pourrait donc être expliquée ?
-La pensée humaine progresse et en même temps se métamorphose sous l’influence de ses propres découvertes. Aujourd’hui, elle va très vite, Tictoc, en démultipliant ses potentiels. Il ne faudra t’étonner de rien. L’impossible peut devenir possible, l’illogique, logique, car la pensée ne fait pas que découvrir, souvent elle doit évoluer pour découvrir ou évolue après avoir découvert, mais il n’est pas question  de magie. La cause pourrait aussi trouver son explication dans l’existence de mondes parallèles tout à fait possibles. Rien n’est à exclure, Tictoc, car ce qui est certain c’est que le monde est froid.

-Oui, tout semble matériel, froid, insensible, mais il y a la vie, Tatonga, et ça remet tout en cause.
-C’est vrai qu’il y a la vie, Tictoc, à l’antipode, à l’opposé diamétral, du matériel, et c’est à la fois mystérieux et déroutant. »

[Tatonga]

Déroutant.

« Tatonga, tu dis que l’émergence de la vie dans ce monde matériel est déroutante.
-Entendons-nous bien, Tictoc, quand nous disons matière et matériel, nous parlons de choses dont on ne sait presque rien en fait. Il ne faut donc pas t’arrêter à ces mots, mais à ce qu’ils signifient, c’est-à-dire un monde froid, indifférent, dénué de sentiments et d’émotions.

-Je vois.
-Or dans cette immensité glaciale a émergé la vie sensible, tout le contraire donc, et c’est déroutant.

-Mais la vie vient peut-être tout simplement de cette matière.
-C’est pour ne pas entendre ce genre d’absurdités que je te mettais en garde contre le mot matière. Non, Tictoc, le sensible est d’une nature tout à fait différente, il est tout le contraire de l’insensible et ne peut provenir de ce dernier. Je dirais même que la provenance du sensible, si provenance il y a, n’a aucune importance, le sensible n’en est pas moins sensible. Il faut te méfier des mots matière et matériel, c’est une approche grossière et inappropriée pour décrire et comprendre le monde.

-Quelle autre approche, proposes-tu ?
-Je ne sais pas, Tictoc, je crois que le monde est un, tout d’une pièce, c’est nous qui ne savons pas parler des choses et du monde autrement qu’en employant des mots et leurs contraires. Je pense, Tictoc, que ce que nous appelons monde insensible ne doit pas accaparer notre attention, et que ce qu’il faut retenir c’est la présence d’êtres sensibles, doués de sentiments et d’émotions. Le reste ne compte pas, il ne faut peut-être même pas le considérer comme une partie à part, une partie distincte.

-Sentiments et émotions, c’est donc ce qui est important d’après toi dans ce monde ?
-N’oublie pas, Tictoc, que sentiments et émotions sont liés à la conscience. Des êtres vivants, non seulement sensibles, mais plus ou moins conscients, doués de cette conscience qui a atteint chez l’homme un niveau tel qu’on doit le considérer comme une créature radicalement différente, Tictoc.

-L’homme radicalement différent ?
-C’est le seul être, Tictoc, qui se pose toutes les questions que nous nous posons, qui interroge la vie et le monde, c’est le seul qui les met en question. Par ce fait même, il les transcende. A part l’homme, je ne vois dans ce monde aucun autre être éveillé, c’est le seul être éveillé, et s’il y a un dieu il ne peut être que cette conscience en l’homme. A part ce dieu-là, je n’en vois aucun ailleurs dans cette immensité cosmique apparemment muette et sourde.

-Et ce monde d’apparence matérielle, si peu important, on va en dire quoi ?
-Ne cherche pas à savoir ce que c’est, il peut avoir mille et une explications, mais ce qui est inconscient, insensible, sourd et muet, ne doit pas retenir l’attention, Tictoc. Dans ce monde, il n’y a que l’homme, il est seul, il est tout et ne fait qu’un avec le monde.

-L’homme ne fait qu’un avec le monde ?
-Je crois, Tictoc, que nous allons découvrir quelque chose de plus étonnant encore. »

[Tatonga]

Le lecteur.

« Tatonga, tu disais que l’homme ne fait qu’un avec le monde.
-S’il n’y avait pas l’homme, y aurait-il un monde, Tictoc ?

-Il n’y aurait pas de monde ?
-Je ne sais pas ce qu’il y aurait, Tictoc, mais l’homme est l’étalon du monde, la mesure de toute chose. C’est l’homme qui voit la lumière et les ténèbres, les couleurs et les formes, c’est l’homme qui dit ceci est grand, ceci est petit, loin, proche, lourd, léger, beau, laid, mal, bien, juste, injuste. C’est l’homme qui donne vie et anime le monde. Sans l’homme, que serait le monde et pour qui ?

-Sans l’homme, il n’y aurait rien ?
-Tu peux le dire, Tictoc. Je ne sais pas ce qu’il y aurait, peut-être pas rien, mais ce serait comme projeter un film dans une salle où il n’y aurait aucun spectateur pour voir les êtres et les choses s’animer, pour réagir, apprécier, approuver, désapprouver, aimer, détester, s’émouvoir, juger.

-Ça ne servirait à rien effectivement de projeter un tel film.
-Ce serait comme un orateur qui prononcerait un discours devant un auditoire vide où il n’y aurait personne pour écouter.

-Oui, un tel orateur parlerait dans le vide.
-Ou comme un livre fermé, sans personne pour le lire.

-J’ai compris, Tatonga, sans l’homme pour le lire, le monde ne servirait à rien.
-Exactement, Tictoc, et ce lecteur, c’est l’homme. C’est pour cela que je te disais que l’homme et le monde vont ensemble, ils ne font qu’un.

-Mais qui a magouillé tout ça, Tatonga ?
-Ce qu’on peut dire, Tictoc, c’est que c’est voulu. Le fait qu’il y ait un monde avec son lecteur ne peut pas être fortuit, c’est voulu, c’est indéniablement l’expression d’une volonté.

-Mais qui a voulu ?
-Je ne sais pas, Tictoc. C’est comparable à l’oreille et aux yeux, il est manifeste qu’ils sont là pour saisir les sons et la lumière, mais avec cette conscience qui fait de l’homme l’animateur du monde, c’est encore plus étonnant, on passe à un stade supérieur. L’œil et l’oreille n’étaient peut-être que des étapes intermédiaires, une préparation de l’homme à ce qui l’attendait.

-Tu ne me dis toujours pas qui a magouillé tout ça…
-Tout ce que je peux te dire, Tictoc, c’est que ce n’est pas le hasard et pas l’homme non plus, évidemment. Y a-t-il un concepteur ou est-ce le monde dans sa globalité qui serait conscient et intelligent et qui se serait auto-conçu ainsi, et, dans ce dernier cas, faut-il considérer le monde lui-même comme un dieu ? Je ne sais pas, Tictoc, je ne sais pas si c’est le monde qui est dieu ou s’il y a ailleurs un dieu à la manœuvre. Ce qui est certain, Tictoc, c’est qu’il y a comme une lumière, une intelligence, un esprit — je ne sais comment l’appeler — qui a goupillé tout ça. »

[Tatonga]

Un monde intégral.

« Ainsi donc, Tatonga, c’est l’homme qui donne vie, anime, fait le monde.
-Tu peux le dire, Tictoc. C’est l’homme qui décode le monde, lui donne sens, le déchiffre.

-Le rôle de l’homme est donc si important ?
-Il assume indéniablement le même rôle du spectateur, de l’auditeur, du lecteur pour un film, un discours, un livre.

-Je vois, Tatonga, mais je ne comprends pas toutes ces souffrances qu’endurent les hommes dans ce monde.
-Il faut comprendre, Tictoc, que personne n’a songé à créer un monde infernal pour te faire souffrir, ni un monde paradisiaque pour te permettre de t’y prélasser.

-Pour quoi alors ?
-Un monde doit être intégral, Tictoc, tout doit y être, absolument tout, rien ne doit y manquer. En un mot, un monde est un univers, Tictoc.

-Et j’en souffre ?
-C’est ainsi que l’homme peut  lire le monde, Tictoc. Lire le monde, c’est y être impliqué. Pour lire le monde, tu dois le vivre dans ta chair et ton âme, tu dois subir tout ce qu’il représente de bon et de mauvais, de bien et de mal, de beau et de laid. Tu ne peux pas lire le monde en t’asseyant à l’écart pour le regarder de loin, tu n’y comprendrais rien.

-Tatonga, n’y a-t-il pas là aussi un but pédagogique pour l’homme ?
-Peut-être, Tictoc. L’homme ferait ainsi l’expérience de ce monde pour mieux se conscientiser, apprendre à distinguer le bon du mauvais, le mal du bien et se préparer à un autre destin, un autre monde. C'est possible, Tictoc. »

[Tatonga]

Une transition.

« Tatonga, tu crois donc que nous sommes appelés à un autre destin…
-Une impression, Tictoc, une forte impression que ce monde est provisoire, il m’a tout l’air d’être en carton-pâte.

-En carton-pâte ?
-Je le trouve bien bizarre, Tictoc. Tout y est éphémère, changeant. Nous y sommes habitués, mais à bien y regarder, ce n’est pas normal et pas sérieux. Je ne suis pas le seul à avoir cette impression, Tictoc, tu as certainement déjà entendu dire que ce monde ne valait rien.

-Tu as donc cette impression ?
-C’est à croire, Tictoc, que c’est un simulacre ou une parodie. Malgré son apparence de réalité tangible, il manque de consistance.

-Tout cela parce qu’il est éphémère et changeant ?
-Parfois, Tictoc, j’ai l’impression de voyager à dos de chameau poursuivi par le mirage d’une flaque d’eau qui se porte tantôt devant, tantôt à droite, tantôt derrière, s’éloigne, se rapproche, disparait, réapparait. Ce n’est pas ce que j’appellerais un monde bien stable, bien réel.

-Je comprends, Tatonga, ce monde nous glisse entre les doigts, mais il est là depuis très longtemps et c’est toujours ce même monde qui est toujours là.
-Méfie-toi du temps, Tictoc, il est très relatif, il dépend de beaucoup de choses, et ce qui parait durer des milliards d’années peut ne durer que quelques minutes pour un autre référentiel comme disent les physiciens. Et puis, Tictoc, le monde est-il ancré dans le temps comme toi ?

-Ce monde serait donc un terrain d’entrainement pour nous préparer à  un autre destin ?
-Je le vois comme une transition, sinon il serait radicalement auto-contradictoire, Tictoc. Il n’aurait ni sens, ni utilité, ni finalité, il serait complètement insensé, alors qu’il est profondément empreint de pensée sensée dans sa conception et axé sur l’homme également doué de pensée et de conscience. Sans autre finalité, sans cet autre destin, il serait radicalement auto-contradictoire, Tictoc.»

[Tatonga]

Réalité fondamentale.

« Tatonga, pourquoi tout est éphémère, tout change ?
-Tout ? Tout quoi ?

-Tout, les choses, les planètes, les étoiles, les hommes…
-Parce que tout cela, c’est des foutaises, Tictoc.

-Des foutaises ?
-Mais bien sûr, Tictoc. Tu ne crois tout de même pas que Dieu a dilué du sable et du ciment pour fabriquer le monde.

-Toutes ces choses ne sont pas réelles ?
-Si, si, elles sont « réelles », mais elles ne sont pas physiques et elles ne sont pas la réalité, elles sont créées, c’est-à-dire pensées.

-Oui, on sait que la matière est vide, Tatonga.
-Ce n’est pas cela que je veux dire, elle n’est pas du tout physique.

-C’est quoi la réalité alors ?
-Il y a une seule réalité, Tictoc, c’est une conscience, une seule conscience, unique et unifiée. Elle est  la réalité fondamentale, tout le reste en émane, mais n'est pas la réalité.

-Une conscience ?
-Oui, Tictoc, une conscience, c’est ce qui existe vraiment. Une conscience n’est pas inerte ou morte, elle est forcément active et c’est ainsi qu’elle crée du « réel », mais qui n’est pas la réalité.

-Est-ce que cette conscience se trouve aussi  en toi et en moi ?
-Oui, Tictoc.

-Dans ce cas, toi et moi, nous devrions créer chacun un monde différent.
-Il n’y a pas toi, moi et la conscience fondamentale, Tictoc. Dieu est en toi et tu es Dieu, vous ne faites qu’un. Nous créons le monde, le même monde, mais comme nous sommes plusieurs, toi, moi... , tout en étant la conscience unique, chacun le colorie un peu à sa manière.

-Pourquoi cette conscience crée-t-elle, Tatonga ?
-Pour vivre ce que tu vis, pour les mêmes raisons que tu as de vivre. Elle fait l’expérience de ce que tu vis par ton intermédiaire. A part cela, que proposes-tu qu’elle fasse d’autre ?

-Je suis donc Dieu ?
-Ça a l’air de t’étonner et pourtant beaucoup de gens l’ont compris. Al-Hallaj que je t’ai déjà cité l’a clairement dit il y a longtemps dans ses poèmes mystiques.

-Je suis Dieu et je meurs ?
-Tu ne meurs pas, Tictoc. Seul ce qui nait meurt et c’est pour cela que tout est éphémère. Toi, tu ne nais pas, Tictoc, c’est ton corps qui nait et meurt.

-Je suis donc Dieu ?
-Mais qui crois-tu être, Tictoc ? Et qui est Dieu, d’après toi ? Réfléchis un peu et tu comprendras.

-Cette conscience, ce Dieu réalité fondamentale, est-ce le Dieu dont parlent les religions, Tatonga ?
-Ce Dieu n’est certes pas le Dieu des religions haut perché sur le monde, un Dieu extérieur, mais si tu relis les livres sacrés, Tictoc, tu pourrais l’y retrouver. »

[Brahim]

Le Coran dit clairement que Dieu a désigné l'Homme comme étant Son représentant sur Terre (Sourate 2, verset 30) :

"Lorsque le Seigneur confia aux anges : "Je vais établir sur Terre un Représentant (Khalifa en arabe)", ceux-ci dirent : "Vas-Tu désigner quelqu'un qui y mettra le désordre et répandra le sang, alors que nous sommes là à te sanctifier et Te glorifier ?". Dieu leur répondit : "En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas".

[Tatonga]

Âme et conscience.

« Tatonga, comment sait-on qu’on a une conscience ?
-Ce que disent les neurosciences de la conscience, Tictoc, est certainement très intéressant, mais je l’ignore et ne m’intéresse pas. Comme toutes les sciences, elles cherchent à expliquer l’inexplicable par les structures physiques, imputant ainsi tout à la matière, ce qui est pour le moins très superficiel, pour ne pas dire ridicule. Mais je peux te dire que c’est que parce que tu as une conscience, parce que tu es une conscience, que tu es conscient de l’espace, du temps, du monde extérieur, de toi-même, de tes sensations, de tes émotions, de tes idées, etc. C’est ta conscience qui en témoigne. En vérité, Tictoc, je penche plutôt à croire que tous ces objets dont se saisit la conscience sont intrinsèques à la conscience, générés par la conscience elle-même.

-C’est donc par son témoignage ou par ses générations, que nous savons que nous avons une conscience, mais la conscience elle-même, c’est quoi, Tatonga ?
-De mon point de vue, Tictoc, elle n’a ni cause, ni origine, ni consistance ; elle est donc impossible à connaitre.

-Et l’âme, Tatonga, comment savons-nous que nous avons une âme ?
-Les théologiens et les philosophes en parlent, mais tout le monde n’est pas sûr que nous en avons une, Tictoc.

-Et toi qu’en dis-tu ?
-Nous en avons une, Tictoc. C’est ce qui ne change jamais quand tout change en toi, ton âge, ton corps, ton état de santé, tes qualités, tes défauts. Quels que soient ces changements, c’est toujours toi, tu sais que c’est toi. Cette chose immuable en toi, c’est ton âme, Tictoc.

-Elle ne change pas, Tatonga, mais c’est quoi, elle est faite de quoi, Tatonga ?
-Ce n’est pas une substance, Tictoc, elle est immatérielle, impossible à connaitre et je ne pense pas qu’elle se distingue de la conscience.

-Ce que je comprends, Tatonga, c’est qu’on ne sait pas grand-chose de la conscience, de l'âme, de ce qu’on est et du monde.
-On ne sait pas grand-chose, Tictoc. Je crois même pouvoir dire que pour tout savoir, il faudrait connaitre cette conscience, tout savoir reviendrait en fait à connaitre cette conscience même dont nous parlions et qui est impossible à connaitre. »

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