La langue, les mots

[Tatonga]

Quand un écrivain arrivera à dire ce que dit le silence ou ce que dit la nature ou ce que peut dire un regard ou un cœur qui bat, ce que peut dire l’amour ou la souffrance, il aura alors atteint le summum de son art. Ce sont là langages parfaits, ou langue de l’âme, qu’aucun art ou langue humaine ne peut égaler. C’est tout le désespoir des amoureux, des poètes et des écrivains.

[gaston21]

Il y a toutes sortes d'écrivains, et beaucoup de livres fades; mais il y a aussi des oeuvres qui atteignent au plus près la perfection.
L'Hymne à la beauté de Baudelaire, par exemple.

Hymne à la beauté

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,
Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L'amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?

De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?

Et lis aussi "Le con d'Irène" d'Aragon ! Tu verras qu'il est très profond; je parle du libre, bien sûr...